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Un ingénieur reçoit une indemnité de départ de 3 mois après 7 mois à l’emploi

4 août 2025
Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Soukaina Ouizzane

 

Dans une décision rendue en 2023, Dansereau c. Annexair inc., la Cour du Québec est appelée à trancher un litige opposant un ingénieur à son ancien employeur, Annexair inc. (« Annexair »), à la suite de la résiliation de son contrat de travail. Le demandeur réclame une somme de 55 000,02 $ ainsi ventilée: une indemnité de départ équivalente à 26 semaines de salaire (45 000,02 $), et un montant de 10 000 $ pour compenser les pertes financières subies après avoir quitté un emploi mieux rémunéré.

En 2018, le demandeur est embauché par Auger Groupe Conseil inc. (« AGC ») en tant que chargé de projet. Dans un contexte de pandémie où la plupart de ses mandats sont suspendus, la directrice des ressources humaines d’Annexair l’approche via LinkedIn et lui propose un poste. Une première entrevue a rapidement lieu. Lors de la seconde, tenue le 13 juillet 2021, une offre d’emploi lui est présentée. Bien qu’il tente de négocier un salaire plus élevé, la direction refuse, même si le salaire offert était inférieur de 10 000 $ à celui qu’il percevait  chez AGC. Il demande alors un moment pour y réfléchir, mais la direction insiste pour qu’il accepte immédiatement. Il signe finalement son contrat de travail le jour même.

Le 25 janvier 2022, soit moins de sept mois après son embauche, le demandeur apprend qu’il est licencié en raison d’une réorganisation. On lui offre alors deux semaines d’indemnité de fin d’emploi, qu’il refuse de signer sans avoir consulté un avocat.

Peu de temps après, le président d’Annexair relance l’offre par courriel, précisant qu’en l’absence de réponse, elle serait considérée comme refusée. Le demandeur lui répond par une mise en demeure réclamant trois mois de salaire et ses vacances impayées. Le président maintient que l’offre est expirée et qu’aucune somme supplémentaire ne lui est due. Pendant ce temps, le demandeur décroche un nouvel emploi qu’il commence le 4 avril 2022.

La Cour est d’abord appelée à trancher la question du délai de congé raisonnable, conformément à l’article 2091 du Code civil du Québec et aux critères jurisprudentiels. Après analyse, elle reconnaît que le demandeur avait droit à un délai de congé raisonnable de trois mois. Toutefois, en appliquant le principe de mitigation des dommages, la Cour restreint l’indemnité à la période réelle pendant laquelle le demandeur est resté sans emploi, soit neuf semaines et six jours après son licenciement. Considérant que son salaire hebdomadaire était de 1 730,77 $, l’indemnité totale ainsi accordée s’élève à 17 060,45 $.

La Cour devait également se prononcer sur la réclamation de 10 000 $ en dommages additionnels. Celle-ci se fondait sur le fait que le demandeur avait quitté un emploi stable chez AGC pour se joindre à Annexair. La Cour rejette cette demande et rappelle qu’en l’absence d’abus de droit, de tels dommages ne peuvent être accordés. De plus, elle souligne que le fait d’avoir quitté un emploi antérieur pour un nouveau poste constitue déjà un facteur pris en compte dans la détermination du délai de congé raisonnable, conformément à la jurisprudence. Ainsi, accorder une compensation supplémentaire à cet effet mènerait à une double indemnisation, ce que le droit ne permet pas.

En somme, la Cour rejette la réclamation pour dommages additionnels de 10 000 $ et accorde uniquement 17 060,45 $ au demandeur.

Voyez plus spécifiquement la façon dont le juge a motivé sa décision :

 

A. DURÉE DU DÉLAI DE CONGÉ

APPLICATION DU DROIT EN L’ESPÈCE

[48] En tenant compte des facteurs ci-après énoncés et de la jurisprudence en la matière, le Tribunal arrive à la conclusion que le délai de congé auquel aurait eu droit M. Dansereau aurait été de 3 mois.

[49] Toutefois, à la lumière de la jurisprudence déjà mentionnée25, le Tribunal ne peut accorder un délai de congé allant au-delà de la date à laquelle M. Dansereau s’est trouvé un nouvel emploi. La date de mise à pied (25 janvier 2022) et celle du début de son nouveau travail (4 avril 2022) étant admises, le délai de congé auquel il a droit est de 9 semaines et 6 jours, soit près de 17 semaines de moins que celui réclamé dans sa demande introductive d’instance.

a) Nature de l’emploi :

[50] Au moment de sa mise à pied, M. Dansereau portait le titre de « Directeur de qualité et méthodes »26. Bien que ne relevant pas directement du président, ce poste avait une certaine importance au sein de l’entreprise puisque M. Dansereau avait un rôle de conseil auprès du président et devait œuvrer étroitement avec la direction de production27. Selon l’organigramme28, 10 employés relevaient de lui.

b) Durée de la prestation de travail :

[51] Il est admis que M. Dansereau a travaillé cinq mois pour Annexair.

c) Démission d’un emploi antérieur :

[52] M. Dansereau a quitté l’emploi qu’il occupait depuis trois ans et demi  chez AGC pour se joindre à Annexair. Il était alors chargé de projet, mais en attente de mandat car celui dont il s’occupait avait été suspendu en raison de la pandémie de Covid-1929.

[53] Ce n’est pas M. Dansereau qui a fait les démarches auprès d’Annexair, ayant été plutôt contacté directement par la représentante des ressources humaines de cette dernière via le site LinkedIn.

[54] À l’époque, M. Dansereau n’était pas en recherche d’emploi, et ce, malgré le fait que ses revenus au sein d’AGC avaient diminué de façon importante entre 2019 et juillet 2021 compte tenu de la pandémie. Ainsi, malgré que son salaire annuel de base chez AGC devait être de 100 000 $, son revenu réel a été inférieur en 2020 et 202130.

[55] Cependant, la preuve démontre que l’enthousiasme et les représentations du président d’Annexair ont eu un impact important sur la décision de M. Dansereau de quitter AGC31.

d) Âge :

[56]  Au moment de la résiliation du Contrat de travail, M. Dansereau était âgé de 59 ans.

e) Possibilité et facilité de se trouver un emploi équivalent :

[57] Peu de preuve a été apportée à ce sujet.

[58] Toutefois, comme M. Dansereau s’est trouvé un emploi équivalent (ou plus rémunérateur) en près de 10 semaines, le Tribunal en conclut que le contexte qui prévalait à l’époque n’a pas eu beaucoup d’impact.

f) Circonstances de la rupture du lien d’emploi :

[59] Il est admis qu’il s’agit d’un licenciement et non d’un congédiement.

[60] Bien que M. Dansereau ait été surpris de sa mise à pied soudaine et sans avertissement le 25 janvier 2022, aucune preuve n’a été faite à l’effet que celle-ci se serait déroulée dans un climat d’agressivité ou de mauvaise foi.

[61] Au contraire, c’est M. Dansereau lui-même qui a demandé à M. Perras s’il pouvait fermer son ordinateur et ramasser ses affaires avant de quitter, ce à quoi ce dernier a acquiescé.

[62] Par ailleurs, même s’il prétend qu’il ignorait les problèmes de liquidité ou financiers d’Annexair à la fin de 2021, M. Dansereau n’était pas sans savoir que peu de temps avant sa propre mise à pied, plusieurs personnes, dont une vice-présidente, avaient été licenciées.

[63] Dans ces circonstances, même si M. Dansereau peut être déçu de ne pas avoir été avisé de façon plus élégante de sa mise à pied, on ne peut considérer qu’il s’agit là d’un critère ayant un poids important dans le calcul du délai de congé.

[64] Enfin, malgré les incontournables distinctions qui peuvent être apportées à chaque cas, trois mois est le délai de congé accordé dans des situations où un employé avait été approché alors qu’il occupait un autre emploi et dont le contrat avait été résilié dans les mois qui suivent le début de son nouvel emploi32. C’est d’ailleurs ce délai qui avait été demandé dans la mise en demeure transmise le 11 février 2022 par le procureur de M. Dansereau33.

[65] Comme M. Dansereau a quitté le jour de sa mise à pied, il a droit à une indemnité correspondant aux revenus qu’il aurait dû recevoir durant cette période. Compte tenu de son salaire hebdomadaire (1 730,77 $), cette indemnité s’élève à 17 060,45 $.

[…]

C. DROIT À DES DOMMAGES ADDITIONNELS

[80] M. Dansereau réclame 10 000 $ pour le préjudice subi du fait qu’il a été incité démissionner de son ancien emploi chez AGC pour joindre Annexair. Cette somme correspond à la différence de salaire annuel qu’il aurait perçu auprès de son ancien employeur.

[81] Outre le fait qu’un employé ne peut obtenir des dommages moraux suite à la résiliation de son contrat d’emploi à moins de démontrer un abus de droit46, on ne peut accorder des dommages pour le motif invoqué ici puisqu’il s’agit d’un des facteurs à considérer dans l’évaluation du délai de congé. Accorder un dédommagement pour la perte subie suite au départ de l’ancien emploi pour le nouveau constituerait une double indemnisation47.

[82] Par conséquent, cette partie de la réclamation doit être rejeté.

[83] En résumé, le montant brut auquel a droit M. Dansereau suite à sa mise à pied s’élève à 17 060,45 $.