Dans une décision rendue en 2021 par la Cour supérieure, Forget c. Procureur général du Québec – Ministère du Conseil exécutif, un ancien commissaire associé aux vérifications à l’Unité permanente anticorruption (UPAC) poursuit son employeur, le Procureur général du Québec (PGQ), pour avoir été forcé de démissionner. Il réclame près de 3 millions de dollars en dommages-intérêts. En réponse, le PGQ soutient qu’il s’agissait plutôt d’une démission volontaire.
Le présent billet porte sur la première question en litige dans cette décision, à savoir s’il est question d’une véritable démission.
Le comportement du demandeur avait été exemplaire depuis le début de son mandat. Toutefois, en novembre 2017, une série d’articles de presse soulèvent un doute quant à son intégrité. Par conséquent, le demandeur est rapidement convoqué à plusieurs rencontres, dont celle du 29 novembre, qui s’avérera déterminante. Lors de celle-ci, on lui indique qu’on entend « trop parler de lui », que sa présence embarrasse le Gouvernement, et que le lien de confiance est ébranlé. Le lendemain, la publication d’un autre article vient intensifier encore davantage le climat de pression entourant une éventuelle démission.
Le lendemain, à 9 h 40, on lui demande de prendre une décision lourde de conséquences dans un délai d’environ 3 minutes : démissionner ou être destitué. Il tente immédiatement de consulter le commissaire de l’UPAC, qui le rassure. Toutefois, dès 10 h 51, ce dernier annonce le départ du demandeur dans un courriel aux employés, suivi d’un communiqué public. Celui-ci précise que le demandeur « préfère se retirer afin de ne pas nuire à l’organisation », sans qu’aucun acte ne lui soit reproché. Peu après, le ministère de la Sécurité publique confirme aux médias sa démission. À 11 h 30, M. Lafrenière exige une lettre de démission officielle. Le demandeur rédige alors, à la hâte, un projet de lettre.
Dans son témoignage, le demandeur raconte avoir été congédié illégalement et de manière abusive. Il soutient avoir été congédié uniquement pour soigner l’image publique du Commissaire et de l’UPAC.
La Cour rappelle que la validité d’une démission repose sur un consentement libre et éclairé, en vertu des articles 1399, 1402 et 1403 du C.c.Q. Le consentement peut être vicié par l’erreur et la lésion ou par la crainte. L’existence d’une menace exercée par l’employeur peut, en certaines circonstances, vicier le consentement. Il y aurait alors démission sous la contrainte.
En l’espèce, la menace de destitution, par ailleurs injustifiée au regard des dispositions du contrat de travail du demandeur, a engendré un vice de consentement fondé sur la crainte. Ce dernier n’avait manifestement aucune intention de quitter ses fonctions. De plus, l’ultimatum qui lui a été imposé, soit de démissionner ou d’être destitué de ses fonctions, était sans fondement et ne reposait sur aucune urgence.
En défense, le PGQ avance des motifs tels que des manquements du demandeur à ses obligations d’intégrité et de loyauté. Toutefois, après analyse de la preuve, la Cour n’a retenu aucun de ces arguments.
La Cour conclut donc que la démission du demandeur n’était ni libre ni volontaire.
À suivre : le prochain billet portera sur la seconde question tranchée par la Cour, soit l’évaluation des dommages auxquels le demandeur a eu droit.
Voyez plus spécifiquement la façon dont la juge a motivé sa décision :
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- LA DÉMISSION DE FORGET EST-ELLE LIBRE ET VOLONTAIRE?
[…]
2.1 Les principes juridiques d’une démission
[12] La validité d’une démission est subordonnée à celle du consentement libre et volontaire. Pour analyser la validité de la démission, le Tribunal doit évaluer s’il existe un vice de consentement lorsque Forget remet sa démission.
[13] Le fardeau de prouver un vice de consentement repose sur celui qui l’invoque. Ainsi, pour réussir dans son recours, Forget doit convaincre le Tribunal que, lorsqu’il remet sa démission, son consentement est vicié par l’une ou l’autre des causes d’annulation d’un contrat qui sont identifiées au C.c.Q., et plus particulièrement aux articles 1399, 1402 et 1403. Le vice de consentement causé par la crainte permet de demander la nullité du contrat et des dommages-intérêts6.
[14] La Cour d’appel énonce les principes applicables à la validité d’une démission comme suit :
[41] Plus particulièrement, la validité d’une démission dépendra de la validité du consentement du salarié qui la donne (art. 1398 à 1408 C.c.Q.). Le salarié doit être apte à s’obliger. Le consentement doit être libre et éclairé et peut être vicié notamment par l’erreur ou la crainte. La démission arrachée par subterfuge, menace, contrainte, ou celle provoquée par des tracasseries ou un harcèlement pourra être assimilée à un congédiement déguisé. En revanche, la démission sera tenue pour valide si la preuve révèle l’absence de menaces ou de gestes de l’employeur susceptibles de provoquer une crainte raisonnable. Il demeure donc que l’employé ne pourra invalider une démission que s’il prouve l’existence d’un vice de consentement.
[42] Enfin, il revient au salarié qui plaide la nullité de sa démission d’en faire la démonstration.
[Caractère gras ajouté]
[15] Également, une démission donnée sous le coup de l’émotion, d’un choc, d’une saute d’humeur, dans un moment d’énervement ou de désarroi, peut résulter d’une intention équivoque, non pleinement consciente ni sérieuse8.
[…]
2.4 Discussion
[40] Le Tribunal conclut que la démission de Forget n’est pas libre et volontaire, car elle survient dans des circonstances qui vicient son consentement.
[41] Son employeur le menace de destitution et des conséquences en résultant. Pire, il se retrouve, en matinée du 30 novembre 2017, devant un fait accompli; sa démission est annoncée partout.
[42] Lorsque le MSP sort publiquement en indiquant que Forget n’est plus l’homme de la situation et l’invite à quitter ses fonctions, la voie est pavée; Forget n’a plus le choix. Le Gouvernement lui retire sa confiance. Plus tard, Coiteux salue sa démission.
[43] Face à un tel déferlement, Forget n’a plus le choix, il doit « s’exécuter ». Il signe une lettre de démission sous le choc. Il se dit assommé et « abandonné », pour reprendre ses termes.
[44] Au procès, il est catégorique. Il n’a pas eu le choix de démissionner, car sa démission avait déjà été annoncée.
[…]
[46] Il est invraisemblable qu’il ait voulu démissionner. Rien dans l’attitude de Forget le matin du 30 novembre 2017 ne suggère chez lui une intention de démissionner. D’ailleurs les témoignages de sa conjointe, sa fille et son fils le confirment. Le matin, il prend la peine de les rassurer sur sa situation malgré la parution d’un autre article de journal; ce n’est pas là le comportement de quelqu’un qui veut démissionner. D’ailleurs, c’est par les nouvelles que sa femme apprend que son mari quitte l’UPAC.
[…]
[48] Le jour du 30 novembre 2017, Forget ne dispose en réalité que d’environ une heure pour prendre une décision lourde de conséquences; pire encore, en moins de temps, il se trouve devant un fait accompli.
[49] Lors de leur conversation, Fortier incite Forget à démissionner afin d’éviter l’adoption d’un décret; une démission serait plus discrète. L’imposition de cette « urgence » ne permet pas à Forget de soupeser les avantages et inconvénients d’une telle décision. La rapidité d’une prise de décision est accablante dans la tourmente des événements. Fortier reconnaît que Forget était devant un choix qu’il qualifie de « cornélien » : démissionner ou « se faire » démissionner.
[…]
[59] La méthode utilisée pour obtenir la démission rend l’exercice abusif en ce que Fortier impose un délai irréaliste de prise de décision, et ce, pour soigner l’image publique du Gouvernement. Pour constituer une cause de nullité du consentement, la menace à l’origine de la crainte doit être illégitime48. En l’espèce, la menace de destitution n’est pas légitime. Cette menace illégitime vicie le consentement de Forget à formuler sa démission.
[60] Forget n’avait pas l’intention de démissionner. Il a plutôt été obligé de le faire, d’où le vice de consentement.