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Dossier d’un employé ingénieur : il faut faire attention de ne pas abandonner son travail alors qu’on se dit congédié de façon déguisée

12 décembre 2022

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

 

Dans Poulin c. Santec Experts-Conseils Ltée du Tribunal administratif du travail, un ingénieur est promu à un poste relativement élevé de direction, mais ne parvient pas à rassembler parfaitement sa nouvelle équipe et son leadership lui est reproché. Il lui sera donc proposé un autre poste aux mêmes conditions, dans l’espoir de le relancer. L’employeur semble honnête quant à son intention de lui permettre d’acquérir de nouvelles compétences.

Alors que son patron le rencontre pour lui annoncer le changement de poste, l’employé lui dit qu’il doit s’en aller en congé de maladie, celui-ci vivant des moments difficiles.

Dès le premier jour de son retour progressif, une mise en demeure est envoyée à l’employeur pour se plaindre de congédiement déguisé, l’employé ayant préalablement accepté une offre d’emploi ailleurs. L’employé « abandonne » donc son emploi et s’en va, ce que la juge administratif assimilera à une démission plutôt qu’à un congédiement déguisé.

Ce jugement intéressant nous permet de tirer plusieurs enseignements à savoir de quelle façon gérer ce type de fin d’emploi. Voici un des passages marquants :

 

 

 

[49]      Selon la preuve prépondérante, l’employeur a effectivement entamé en septembre 2018 une démarche visant à réaffecter le plaignant en raison de lacunes observées dans ses aptitudes de gestionnaire.

[50]      Il est clair pour le Tribunal que cette décision n’avait pas pour objectif de changer substantiellement des conditions essentielles de travail du plaignant et ainsi provoquer son départ, mais plutôt d’apporter des correctifs en vue de l’aider et l’outiller pour mieux s’en acquitter dans l’avenir. De plus, selon la preuve, quand la direction a informé le plaignant de ses lacunes lors de la rencontre en septembre 2018, celui-ci, bien que déçu et ébranlé, ne les a pas vraiment contestées et a au contraire laissé entendre qu’il s’engagerait dans la démarche. 

[51]      Certes, l’employeur reconnait avoir eu l’intention de déplacer le plaignant de son poste de direction et de le réaffecter, mais le tout suivant des modalités qui restaient à définir avec le plaignant. Or, ce processus de réaffectation a été mis en veilleuse en raison de son absence pour cause de maladie et devait reprendre à son retour. 

[52]      Ainsi, les discussions entamées en septembre 2018 n’étaient pas terminées et toutes les options qui pouvaient s’offrir au plaignant n’avaient pas été mises sur la table.

[53]      Or, le plaignant ne s’est jamais présenté au moment où ces discussions devaient reprendre, ce dernier ayant plutôt postulé et accepté un emploi ailleurs sans jamais prévenir l’employeur. Il résulte de tout cela que la réaffectation annoncée n’a en fait jamais eu lieu.

[54]      Concrètement, la preuve largement prépondérante, démontre plutôt qu’alors qu’il se disait en état d’invalidité totale, le plaignant a changé d’emploi tout à fait librement, et ce, sans jamais avoir au préalable, avant d’accepter et de signer un contrat d’emploi, clairement indiqué à l’employeur son désaccord avec la mutation envisagée.

[55]      D’ailleurs, il est pour le moins étrange que le plaignant, sans jamais avoir vraiment protesté et après avoir confirmé sa présence à la rencontre du 28 novembre, ait choisi de ne pas s’y présenter sous prétexte qu’il attendait une réponse de l’employeur à sa mise en demeure.

[56]      D’une part, le délai prévu pour y répondre dans cette dernière n’était pas écoulé. D’autre part, le plaignant y réclame des dommages et non son poste de direction. Pourtant, il affirme avoir à l’époque gardé espoir de recouvrer ce poste vu le départ de son remplaçant et avoir recherché un emploi uniquement en prévision du refus de l’employeur de le rétablir dans son poste. Or, au moment où l’employeur répond à la mise en demeure en lui indiquant notamment que les discussions ne sont pas terminées, il a déjà accepté et débuté ce nouvel emploi.

[57]      Une chose parait certaine, le comportement du plaignant n’est pas concordant avec ses propos à l’audience.

[58]      Rappelons également qu’au moment où on le convoque à une rencontre à laquelle il accepte de discuter carrière, il a subrepticement déjà récupéré, le lendemain de la signature du contrat d’emploi chez le Groupe Robert, tous ses effets personnels. À cet égard, le Tribunal estime que la version du plaignant selon laquelle il n’aurait jamais laissé au fils des années d’effets personnels dans son bureau n’est pas vraisemblable. Il a également trouvé et accepté un emploi mieux rémunéré ailleurs.

[59]      Tous des comportements qui attestent clairement l’absence de toute intention sérieuse du plaignant de revenir chez l’employeur.

[60]      Il en ressort de tout ce qui précède qu’il n’y a pas eu modification unilatérale ni substantielle des conditions de travail du plaignant, les discussions envisagées et convenues de part et d’autre à cette fin n’ayant jamais eu lieu. Le Tribunal conclut qu’il y a eu démission et non congédiement déguisé.