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Étude de cas – les types de dommages à demander en cas de litige en fin d’emploi

4 août 2025
Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Soukaina Ouizzane

 

Ce second billet consacré à la décision Forget c. Procureur général du Québec fait suite à celui portant sur la question de savoir si le départ du demandeur constituait une véritable démission. Nous nous penchons maintenant sur l’évaluation des réclamations du demandeur, qui totalisent près de trois millions de dollars.

De prime abord, le demandeur réclamait une indemnité de 290 000 $, correspondant aux pertes salariales et avantages dus jusqu’à la fin de son contrat. Le Tribunal rappelle que dans le cas d’un contrat à durée déterminée, l’employeur est tenu d’indemniser le salarié pour la totalité de la rémunération et des avantages convenus jusqu’à la fin du contrat. Après analyse, la valeur totale du solde du mandat est de 264 000 $. Toutefois, le Tribunal déduit de cette somme les prestations versées par la CNESST pendant la période concernée, de sorte que la perte salariale réelle équivaut à 209 900 $.

Pour la perte de revenus futurs, le demandeur réclamait une somme de 1,4 million de dollars. Il soutenait que la fin prématurée de son mandat avait sérieusement compromis sa capacité à réintégrer le marché du travail. Bien que le Tribunal admette que les circonstances de son départ et la couverture médiatique compliquent sa réinsertion professionnelle, il rejette cette réclamation. Il souligne que le demandeur possède un excellent parcours professionnel et qu’il a déjà entrepris des démarches concrètes pour se réorienter, notamment en reprenant des études. Le Tribunal ajoute également que le présent jugement, en rétablissant les faits, pourrait atténuer les effets négatifs sur sa réputation.

Le demandeur réclamait également la somme de 150 000 $ du fait de la conduite du Procureur général du Québec (PGQ) et du harcèlement psychologique exercé qui auraient entraîné des conséquences importantes sur sa santé physique et mentale. Considérant la gravité du préjudice subi et les montants généralement octroyés pour ce type de réclamation, le Tribunal lui accorde une indemnité de 50 000 $. Il précise toutefois que ce montant excède ce qui est habituellement accordé dans des cas similaires de congédiement, en raison notamment du caractère public de celui-ci.

Pour atteinte à la réputation, le demandeur réclamait la somme de 400 000 $, invoquant le caractère public de son congédiement et certains commentaires du ministère de la Sécurité publique (MSP). Le Tribunal reconnaît que la réputation du demandeur a été affectée, mais précise que ce sont les articles de presse, et non les déclarations du gouvernement, qui ont mené le public à croire à d’éventuelles fautes de sa part. Le demandeur soutient alors que son congédiement et les commentaires du MSP ont faussement validé les rumeurs à son égard. Le Tribunal rejette toutefois cette prétention : il conclut qu’aucun propos tenu par le PGQ ne constitue une atteinte à sa réputation. Ce chef de réclamation est donc rejeté.

Finalement, à titre de dommages-intérêts punitifs, le demandeur réclame un montant de 500 000 $, alléguant une atteinte intentionnelle par le PGQ à ses droits fondamentaux. Après analyse, le Tribunal conclut que les critères permettant l’octroi de dommages-intérêts punitifs sont remplis. Cela dit, bien que les tribunaux québécois aient reconnu par le passé des dommages-intérêts punitifs allant de 5 000 $ à plus de 1 000 000 $, la somme réclamée par le demandeur est considérée comme excessive dans les circonstances. Compte tenu de la jurisprudence pertinente et des facteurs énumérés à l’article 1621 C.c.Q., le Tribunal estime qu’une somme de 25 000 $ constitue un montant raisonnable.

Voyez plus spécifiquement la façon dont la juge a motivé sa décision :

 

    1. À QUELS DOMMAGES COMPENSATOIRES, FORGET A-T-IL DROIT?

 

3.1 La rémunération jusqu’au terme du contrat de travail

[…]

[63] Le salarié dont le contrat à durée déterminée est rompu injustement et prématurément a droit à une indemnité calculée sur la base du salaire, incluant l’ensemble des avantages pécuniaires rattachés à l’emploi, qu’il aurait gagné jusqu’à l’échéance normale du terme51, le tout sous réserve de l’obligation de mitigation qui lui incombe52.

[64] En l’espèce, compte tenu du contrat de travail à durée déterminée, PGQ doit verser à Forget un montant équivalent à la rémunération, et autres avantages convenus, selon la période restante du contrat.

[65] Le contrat de Forget l’est pour cinq ans à compter du 13 novembre 2013, soit jusqu’en novembre 2018. Quant aux avantages sociaux et bénéfices, Forget témoigne qu’ils étaient de l’ordre de 28 à 30% de sa rémunération. À ce sujet, la preuve est mince sur la valeur de ces avantages et bénéfices. Par exemple, il explique que l’allocation d’une automobile représente une somme entre 12 000 $ à 15 000 $. Quant à la voiture de fonction fournie par l’UPAC, il s’agissait d’une allocation de voiture non prévue dans les conditions de travail53. Enfin, en ce qui a trait au remboursement des dépenses, aucune preuve n’est présentée à l’égard des dépenses encourues et non remboursées.

[66] Selon la preuve administrée, la valeur du solde du mandat est de 264 000 $ composée des sommes suivantes :

– 164 000 $ pour la portion salaire pour la période du 1er décembre au 12 novembre 2018;

– 66 400 $ pour l’allocation de transition prévue aux conditions de travail;

– 31 400 $ pour la bonification du régime de retraite54, jusqu’à l’âge de 75 ans, soit la cible de Retraite Québec55.

– 1300 $ pour la différence relative au coût de l’assurance privée qui lui coûte 4000 $ avec l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec.

[67] De cette somme, doivent être soustraites les prestations reçues de la CNESST jusqu’à la fin du mandat, soit 54 100 $. La perte pécuniaire totalise donc 209 900 $56 .

3.2 La perte de revenus futurs

[…]

[72] En l’espèce, la couverture médiatique et les circonstances de la démission/congédiement rendent certes difficile la réinsertion professionnelle de Forget. Cependant, le Tribunal ne fait pas droit à ce poste de réclamation pour les motifs qui suivent.

[73] D’abord, Forget dispose d’une longue feuille de route, sans compter qu’il a repris des études pour l’aider à se réorienter. Au fil de sa carrière, il a occupé diverses fonctions importantes et il détient une maîtrise en administration publique de l’École nationale d’administration publique. Son intelligence, son parcours, son instruction et ses formations lui permettent de tirer son épingle du jeu.

[74] Ensuite, malgré tous les qualificatifs dont il avance être affublé, le présent jugement saura sans doute rétablir les faits.

[75] Ainsi, de l’avis du Tribunal, sa carrière, bien qu’ayant été atteinte considérablement, ne l’est pas irrémédiablement.

3.3 Les troubles et inconvénients/Dommages moraux

[…]

[83] Selon l’ensemble de la preuve, en raison des circonstances ayant entouré la démission donnée non librement et volontairement, Forget a été humilié et abandonné. Jusqu’au 30 novembre 2017, Forget occupe des emplois qui le valorisent, alors qu’il lui en est beaucoup plus difficile maintenant. Bien que confiant pour l’avenir de Forget, le Tribunal est d’avis que cette épreuve lui aura coûté quelques années de « châtiment ».

[84] Ainsi, considérant la gravité du préjudice et les indemnités octroyées dans des cas de congédiement, il est raisonnable d’accorder à Forget une indemnité de 50 000 $ à titre de troubles et inconvénients. Certes, ce montant se distingue de ceux généralement attribués dans de tels cas mais, contrairement à ces précédents, les répercussions sont d’autant plus importantes qu’il s’agit en quelque sorte d’un congédiement public.

3.4 L’atteinte à la réputation

 

[…]

[89] En l’espèce, la réputation de Forget est sans aucun doute affectée, mais cette atteinte relève des médias. Ce sont les articles de journaux qui ont suscité des soupçons quant à la possibilité que Forget ait pu commettre des gestes reprochables. Pourtant, rien dans la longue preuve faite au Tribunal ne démontre que tel est le cas, au contraire.

[90] Forget avance que le congédiement attestait en quelque sorte de la véracité des allégations, pourtant fausses, rapportées à son endroit. Par ses commentaires, le MSP aurait porté atteinte à la réputation de Forget, en avalisant « officiellement » des propos inopportuns, il aurait alors amplifié, voire aggravé, les inconvénients du battage médiatique.

[91] Les propos du MSP de l’époque indiquent que son départ contribue à maintenir la confiance envers l’UPAC et se limitent à cela. Par exemple, le MSP affirme que « les personnes qui œuvrent au sein des organisations doivent s’élever au-dessus de leurs intérêts personnels immédiats de travailler […] dans le fond, de prendre les décisions qui s’imposent pour le bien de l’organisation, pour le bien du lien de confiance entre la population et l’organisation. Et c’est ce geste-là qu’a décidé de poser M. Forget, que je salue »71. À la question : « Je ne veux pas vous mettre des mots en bouche, mais donc je comprends, M. Forget nuisait à la confiance du public envers l’UPAC », le MSP répond de nouveau : « Je pense que la population pourrait se poser des questions légitimes et, dans les circonstances, je pense qu’il a pris la bonne décision »72.

[92] De tels propos ne compromettent pas plus la réputation de Forget. Un citoyen ordinaire n’estimerait pas que les propos, pris dans leur ensemble et compte tenu des circonstances, déconsidèrent la réputation de Forget. Sur la place publique, PGQ ne fait que saluer sa démission et aucun propos diffamatoire de nature attentatoire à la réputation de Forget n’est tenu. L’effet réel sur la perception d’un citoyen ordinaire vient de la controverse sur l’intégrité suscitée par les allégations médiatiques. Ce ne sont pas les propos tenus par le Ministre qui placent Forget dans un état de disgrâce aux yeux des médias et du public en général.

[93] Par conséquent, le Tribunal rejette ce chef de réclamation.

3.5 Les dommages-intérêts punitifs

[…]

[97] En l’espèce, PGQ a agi en toute connaissance de cause des conséquences extrêmement probables que ses gestes engendreraient. D’ailleurs, dans les heures précédant les gestes, la preuve démontre que PGQ est conscient des conséquences77.

Il y a donc lieu d’ordonner des dommages-intérêts punitifs.

[98] Les dommages-intérêts punitifs sont d’une toute autre nature que les dommages-intérêts compensatoires. Leur but n’est pas de réparer le préjudice; ils ont une fonction dissuasive et punitive à la fois78. Ils sont utilisés à trois fins : la prévention, la dissuasion et la dénonciation79.

[…]

[100] Au Québec, les dommages-intérêts punitifs varient habituellement entre 5000 $ et 250 000 $, bien que, dans les cas où la gravité du comportement le justifie, les tribunaux ont accordé des montants s’élevant à 1 000 000 $ ou plus84.

[…]

[102] La réclamation de Forget à la hauteur de 500 000 $ à titre de dommages-intérêts punitifs s’avère exagérée. Eu égard aux circonstances et aux faits propres à la situation, de même qu’en tenant compte des facteurs énumérés à l’article 1621 C.c.Q., l’octroi d’une somme de 25 000 $ s’avère plus approprié et raisonnable. Enfin, vu la nature des dommages punitifs, ils sont majorés des intérêts et d’une indemnité additionnelle qu’à compter du jugement86.