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L’envoi de mise en demeure par l’employeur et la faute

3 juillet 2025
Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Soukaina Ouizzane

 

 

Dans l’affaire Johnson c. Entreprises RXTX 2002 inc., la division des petites créances de la Cour du Québec se penche en mars 2025 sur un recours intenté par M. Johnson contre son ancien employeur, les Entreprises RXTX 2002 inc. (RXTX). M. Johnson soutient avoir été congédié sans préavis, et réclame ainsi un total de 8 721,49 $, incluant une indemnité pour absence de préavis, des vacances impayées ainsi qu’une compensation pour troubles et inconvénients subis à la fin de son emploi.

RXTX plaide au contraire que M. Johnson a démissionné. Le 29 avril 2021, M. Johnson a effectivement remis sa lettre de démission, indiquant que son dernier jour de travail serait le 6 mai 2021. Par la suite, les parties ont modifié à plusieurs reprises la date de fin d’emploi, pour finalement convenir la date initialement proposée, soit le 6 mai 2021, avec rémunération versée jusqu’au 7 mai 2021. La preuve démontre que M. Johnson a été payé jusqu’à cette date, et qu’aucune contrainte n’a été exercée par RXTX pour le forcer à quitter son poste. La Cour conclut donc que la fin d’emploi résulte d’un accord mutuel, et non d’un congédiement. Par conséquent, RXTX n’était pas tenue de donner un préavis ni une indemnité compensatrice équivalente.

Johnson fait également valoir que, depuis le début de son emploi à RXTX, ses vacances devaient être payées au taux de 8 % par année sur l’ensemble de sa rémunération, incluant son salaire, ses bonis et les autres heures facturables. Toutefois, la Cour constate que ni la Loi sur les normes du travail ni son contrat de travail ne prévoient un tel taux, ni que la rémunération des vacances doive se baser sur un montant autre que son salaire annuel. Puisque M. Johnson a déjà bénéficié de ses quatre semaines de vacances annuelles et reçu les sommes dues selon son salaire, la Cour conclut qu’il ne lui reste aucune journée de vacances impayée.

Enfin, M. Johnson allègue que RXTX a commis une faute en lui transmettant une mise en demeure, ce qui l’aurait contraint à engager des frais d’avocats. Cette lettre lui réclamait 50 000$ pour avoir contrevenu à son contrat de travail en interagissant avec son ancien employeur au début de son emploi. Cependant, M. Johnson n’a pas démontré que l’envoi de cette lettre constituait une faute au sens de l’article 1457 C.c.Q. La Cour conclut qu’il s’agit de l’exercice légitime d’un droit et rejette également cette réclamation.

En somme, l’ensemble des réclamations de M. Johnson a été rejeté, avec les frais de justice à sa charge.

Voyez plus spécifiquement la façon dont la juge a motivé sa décision :

 

 

  1. Monsieur Johnson a-t-il droit à un préavis de fin d’emploi (délai de congé) ?

 

[8] La preuve révèle qu’un contrat de travail à durée indéterminée intervient entre

monsieur Johnson et RXTX en 20195.

 

[9] Le Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit quant à un tel contrat que chacune des

parties peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé (ou préavis)6.

 

[10] Ce délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature

de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail7.

 

[11] L’obligation de donner ce délai de congé s’applique tant au salarié qu’à l’employeur, et ce, pour toute la durée du contrat. Le contrat de travail ne prend fin qu’à la date prévue par le délai congé8.

 

[12] Pour sa part, la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) impose à l’employeur l’obligation de donner un préavis écrit au salarié lorsque l’employeur est celui qui met fin au contrat de travail9. La L.N.T. précise la durée du préavis en fonction des années de service du salarié. À défaut de préavis, l’employeur doit verser au salarié une indemnité compensatrice équivalente10.

 

[…]

 

[18] Le 4 mai 2021 en matinée, madame Marie-Josée Vennes et madame Natalie Parent représentant RXTX rencontrent monsieur Johnson pour lui confirmer qu’il peut terminer le 6 mai 2021, comme il l’a initialement mentionné dans sa lettre de démission et que, le cas échéant, il sera payé jusqu’au 7 mai 2021 grâce à du temps repris. Monsieur Johnson affirme que cela lui convient, car il souhaite se reposer avant son nouvel emploi.

 

[19] RXTX lui remet alors un nouveau document signé par RXTX mentionnant en objet « Acceptation de votre démission ». Par ce document, RXTX accepte que la dernière journée travaillée de monsieur Johnson soit le 6 mai 2021. Le document mentionne qu’il sera rémunéré jusqu’au 7 mai 2021, par du temps repris. Monsieur Johnson signe au bas pour reconnaitre en avoir reçu copie, l’accepte et s’engage à la respecter.

 

[20] La preuve révèle que monsieur Johnson a effectivement été payé jusqu’au 7 mai 2021. Monsieur Johnson invoque qu’il a été congédié, sans préavis suffisant, par RXTX le 4 mai 2021 et qu’il n’a pas renoncé à sa rémunération.

 

[…]

 

  1. Monsieur Johnson a-t-il des vacances gagnées et impayées ?

 

[26] Monsieur Johnson soumet que depuis le début de son emploi auprès de RXTX en 2019, ses congés annuels (vacances) devaient être payés au taux de 8 % l’an sur l’ensemble de sa rémunération, incluant non seulement son salaire annuel mais

aussi tout boni et autres heures facturables. À ce sujet, monsieur Johnson invoque la définition suivante prévue à la L.N.T.17

 

« salaire » : la rémunération en monnaie courante et les avantages ayant une valeur pécuniaire dus pour le travail ou les services d’une personne salariée.

 

[27] Le contrat de travail18 intervenu entre monsieur Johnson et RXTX prévoit un Salaire annuel déterminé19 et stipule que ce salaire annuel « vise à couvrir l’accomplissement de la tâche de l’Employé dans sa globalité et en référence à 37,5 heures travaillées chaque semaine ».

 

[28] En plus, ce contrat de travail prévoit que monsieur Johnson peut recevoir un boni et des sommes liées à certaines heures facturables aux clients de RXTX. Toujours, selon ce contrat, monsieur Johnson a droit à quatre semaines de vacances annuellement 20.

 

[29] La L.N.T.21 prévoit le droit de l’employé à un congé annuel dont la durée varie selon le temps de service continu de la personne salariée auprès de l’employeur. Lorsque la personne salariée justifie trois ans de service continu auprès de l’employeur, elle a droit à un congé annuel d’une durée minimale de trois semaines22. Avant trois ans, cette durée est moindre.

 

[30] En tout temps au cours de son emploi qui a duré moins de trois ans (2019 à 2021), monsieur Johnson a bénéficié de congé annuel d’une durée de quatre semaines, ce qui est supérieur à la durée minimale prévue par la L.N.T.

 

[…]

 

  1. Monsieur Johnson a-t-il démontré que RXTX est responsable envers lui des

troubles et inconvénients ?

 

[34] La relation est harmonieuse entre les parties lorsque monsieur Johnson annonce sa démission et, à la suite de cette annonce, le transfert de connaissance par monsieur Johnson à RXTX se déroule bien.

 

 

[35] À la fin de son emploi, monsieur Johnson mentionne à RXTX qu’elle peut communiquer avec lui en cas de souci dans un des dossiers dont il avait la charge. La relation se détériore alors.

 

[36] RXTX décline l’offre puisque monsieur Johnson prévoit commencer à travailler pour un compétiteur.

 

[37] Peu de temps après la fin de son emploi auprès de RXTX, monsieur Johnson, par l’intermédiaire de sa conjointe, demande certaines informations à RXTX quant à sa rémunération. RXTX fournit à monsieur Johnson ces informations23.

 

[38] Aussi, par l’intermédiaire de son avocat, RXTX achemine une lettre de mise en demeure à monsieur Johnson par laquelle RXTX lui réclame 50 000 $, et à laquelle est annexée une lettre de mise en demeure à sa conjointe. RXTX reproche alors à monsieur Johnson d’avoir contrevenu à son contrat de travail en interagissant avec son ancien employeur vers le début de son emploi pour RXTX24.

 

[39] À l’audience, monsieur Johnson prétend que RXTX a commis une faute en lui transmettant cette lettre de mise en demeure, engendrant sa responsabilité. Il explique qu’en raison de cette lettre de mise en demeure, il a encouru des frais d’avocats et qu’il a subi des troubles et inconvénients.

 

[40] Monsieur Johnson n’a pas prouvé, selon la balance des probabilités, que RXTX commet une faute causant des dommages et engendrant sa responsabilité au sens de l’article 1457 C.c.Q. lorsqu’elle mandate un avocat pour transmettre sa mise en demeure. Certes monsieur Johnson était en droit de contester le bien-fondé des reproches faits dans la mise en demeure, mais son envoi ne constitue pas une faute. Il s’agit d’un exercice légitime d’un droit.

 

[41] Le Tribunal conclut donc que monsieur Johnson ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve de démontrer que RXTX aurait commis une faute en envoyant la lettre de mise en demeure.

 

[42] En conséquence, le Tribunal ne fera pas droit à la réclamation pour troubles et inconvénients.