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L’indemnité de fin d’emploi et la déductibilité des prestations d’assurance invalidité

7 juillet 2025
Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Soukaina Ouizzane

 

 

 

Le billet suivant porte sur une décision de 2015 de la Cour supérieure, Farley c. Blinds To Go Inc., encore largement citée en jurisprudence et qui rappelle plusieurs principes essentiels en droit du travail. En l’espèce, la Cour devait se pencher sur la question de l’indemnité de fin d’emploi, de la déductibilité des prestations d’assurance invalidité privées du délai-congé, et des limites de l’obligation d’accommodement.

 

Embauché en 1997, le demandeur occupait un poste de cadre supérieur en recherche et développement chez Blinds To Go Inc. (BTG). Toutefois, au fil des années, sa charge de travail avait considérablement augmenté, au point où il a souffert en 2009 d’une dépression majeure pour laquelle il a obtenu un congé-maladie. En juin 2011, une réduction de son horaire à trois jours par semaine lui est accordée. Le 7 juillet 2011, il reçoit une lettre d’intention annonçant l’abolition de son poste, ainsi qu’une offre pour un poste temporaire de conseiller aux projets spéciaux pour une durée de six mois.

 

Tout d’abord, BTG soutient que le délai-congé de six mois, sous forme de travail rémunéré à raison de trois jours par semaine, était raisonnable dans les circonstances. La Cour rejette cet argument, concluant que le demandeur aurait dû recevoir un délai-congé d’un an. Elle écarte également la prétention de BTG selon laquelle ce délai devait être calculé sur la base de son horaire de trois jours par semaine puisqu’il serait inéquitable de priver le demandeur des montants découlant de ses nombreuses années de service, d’autant plus que cette réduction était récente et accordée pour des raisons médicales.

 

En s’appuyant sur l’arrêt Sylvester c. Colombie-Britannique, BTG plaide également que le montant de 30 282 $ reçu par le demandeur à titre de prestations d’assurance invalidité devrait être déduit du délai-congé. La Cour rejette cette prétention, et souligne que l’affaire Sylvester diffère nettement de celle du demandeur puisque ce dernier payait lui-même ses primes d’assurance. Ainsi, elle retient l’un des enseignements de l’arrêt IBM Canada ltée c. Waterman, selon lequel les prestations versées en vertu d’un régime d’assurance privée ne sont généralement pas déductibles du montant du délai-congé lorsque le salarié y a personnellement contribué.

 

Finalement, le demandeur réclame un montant pour discrimination basée sur son handicap (dépression majeure) et un autre pour dommages moraux. La Cour rejette ces réclamations puisqu’au moment de sa demande de réduction d’heures, le demandeur n’a fait aucune mention de sa dépression majeure, évoquant uniquement de la fatigue. Ainsi, en l’absence de communication claire sur son réel état de santé, il était injustifié de reprocher à son employeur un manquement à son obligation d’accommodement.

 

En conclusion, la demande est partiellement accueillie. La Cour condamne BTG à verser au demandeur la somme de 111 000 $ à titre de délai-congé.

 

Voyez plus spécifiquement la façon dont le juge a motivé sa décision :

 

 

 

LE DROIT :

 

[53] La défense a plaidé que le délai-congé pouvait être une somme globale correspondant à la cessation de l’emploi et au départ rapide de l’employé. Mais elle a aussi soulevé que dans certains cas, les tribunaux avaient accepté que le délai-congé soit travaillé et rémunéré, sans nécessité pour l’employeur d’y ajouter de montant forfaitaire à cet égard1.

«[118] Il est communément admis et reconnu que l’employeur qui se prévaut de l’article 2091 C.c.Q. et résilie le contrat de travail peut choisir de ne pas donner le délai de congé, mais de mettre plutôt fin au contrat de façon immédiate tout en versant au salarié une indemnité équivalente au délai de congé raisonnable [27]. Dans le premier cas, le salarié continue de travailler pour l’employeur pendant la durée du délai de congé et il reçoit en échange toute la rémunération rattachée à l’exécution du travail (c’est-à-dire le salaire et autres avantages et bénéfices ayant une valeur pécuniaire). Dans le second cas, l’employeur, en guise d’indemnité, versera au salarié l’équivalent de la rémunération que celui-ci aurait normalement reçue s’il avait travaillé pendant la durée du délai de congé. »

[54] Et comme c’est ici ce que la défenderesse a fait, elle soutient qu’elle a rempli son obligation de délai raisonnable, même si, dans les faits, elle n’a rien versé à Denis puisqu’il n’a pas travaillé après la lettre du 7 juillet jusqu’au 31 décembre pour cause de maladie.

[55] Elle ajoute à l’insulte que puisque Denis a reçu des prestations d’assurance pendant cette période (une somme de 30 282 $ que l’assureur lui a réclamée, sans poursuivre, du moins jusqu’à maintenant) ce montant devrait être appliqué en réduction de tout délai-congé que pourrait accorder le tribunal! Elle s’appuie, dit-elle, sur certaines décisions des tribunaux supérieurs.

[56] Ainsi, dans l’affaire de Sylvester c. Colombie-Britannique2, la Cour suprême a conclu à la réduction de l’indemnité-congé parce que l’employeur payait seul les primes du programme d’invalidité à long terme de ses employés, dont Sylvester. La situation est ici complètement différente puisque la preuve non contestée est à l’effet que seul Denis payait la prime de son assurance I.L.D. Le tribunal n’apprécie pas qu’on ait plaidé que cette affaire était ici incontournable!

[57] D’ailleurs, la Cour suprême a revisité la question plus récemment dans l’affaire de IBM Canada Ltée c. Waterman3 où il s’agissait de déterminer si l’employé congédié injustement avait droit et à une prestation de retraite et à un délai-congé. La cour, se distinguant de l’arrêt Sylvester, a conclu que oui et que les deux modes d’indemnisation étaient différents au nom de ce qu’elle a appelé : l’exception dite relative à l’assurance privée.

« Les prestations que reçoit un demandeur en application d’un régime d’assurance privée ne sont habituellement pas déductibles des dommages- intérêts…. En général, une prestation ne sera pas déduite… (si).. le demandeur a contribué dans le but d’y avoir droit ».

 

[…]

 

[61] Le problème principal du demandeur réside dans le trait de personnalité que les psychiatres entendus et les deux autres qui l’ont vu et ont consigné des opinions au dossier et auxquels on a référé, ont exprimé : il a toujours eu le besoin de plaire, ou de ne pas déplaire, ce qui explique qu’il ne se soit pas plaint de la surcharge de travail de façon plus musclée. En fait, il semble ne s’être que peu, ou jamais, plaint auprès de la direction de BTG.

[62] Le résultat de ce « silence »: il s’est senti trahi par ses patrons, et quand il pense avoir été floué en 2009/2010 de ne pas avoir pu récupérer des prestations d’I.L.D, et quand on l’a repris progressivement, mais comme consultant , et quand on lui a prêté des sous pour payer ses impôts mais qu’on a « exigé » un remboursement injuste, et quand on lui a accordé ses 3 jours semaine en 2011 mais sans le garder comme employé puis, quand on a aboli son poste…

[63] Le problème de tout cela, c’est que personne ne l’a entendu revendiquer, maugréer, tempêter contre toutes ces injustices perçues avant qu’il ne prenne des procédures.

[64] La preuve prépondérante, que le tribunal retient, est à l’effet que les frères Shiller, son employeur, ont toujours eu beaucoup de considération et de respect pour Denis. Il a tour à tour travaillé au siège social, à l’usine, directement avec Stephen puis avec Richard. Il a été traité comme un cadre supérieur, ce qu’il était. On l’aurait aidé s’il avait parlé ou partagé ses problèmes de santé ou de stress ou de fatigue.

[65] On a essayé de l’accommoder quand il l’a demandé et on aurait fait plus s’il s’était exprimé.

 

[…]

 

[67] Là où le soussigné n’est pas d’accord avec BTG, c’est quant au délai-congé qu’il aurait fallu donner au demandeur. Le tribunal estime qu’en fonction des critères généralement reconnus par les tribunaux, et en fonction des tâches multiples qu’on a confiées au demandeur et qu’il a accomplies avec promptitude et efficacité, le demandeur aurait dû recevoir un délai-congé, ou son équivalent en argent, pour une période d’une année de services, avec les accessoires habituels (valeur du plan de bénéfices tel assurances groupe, contribution de l’employeur au REER).

 

[…]

 

[69] Le tribunal écarte comme inéquitable et injustifiable la proposition faite par la défense que le délai-congé devrait être basé sur l’équivalent du salaire de 3 jours semaine. Il s’agissait d’une situation toute récente où il n’y a manifestement pas eu de rencontre de consentements réciproques (« meeting of the minds »), comme l’a démontré la preuve. Le demandeur ne saurait être privé de montants auxquels ses longues années de service lui donnent droit plutôt que d’une situation où il s’est, en quelque sorte, retrouvé comme une victime.

 

[…]

 

[77] Un mot maintenant des deux autres montants réclamés, soit pour discrimination, soit pour dommages moraux.

[78] La preuve prépondérante a révélé que lorsqu’il a demandé en juin 2011 de réduire ses heures, la seule raison qu’a indiquée Denis était qu’il était fatigué, sans plus Elle a aussi révélé de façon prépondérante que s’il avait fait référence à une dépression ou à sa dépression antérieure, on l’aurait accommodé.

[79] Comme il avait la responsabilité au moins d’en parler ou, s’il en était incapable, de le faire faire par sa conjointe, on ne peut imputer de son silence une intention malveillante de BTG au point de la pénaliser d’une condamnation de la nature de celle recherchée à ce chapitre. Elle n’en sera donc pas accordée.

[80] Quant aux dommages moraux, le même raisonnement doit s’appliquer! Comment punir quelqu’un d’avoir causé des dommages moraux à autrui alors qu’il ne sait rien parce qu’on ne lui a rien dit. Doit-on lui imputer une connaissance d’une situation privée qu’on lui a cachée ou dont on ne lui a guère parlé? Peut-on lui faire reproche de ne pas avoir su plus des problèmes de santé de Denis alors qu’on a 800 employés au Canada et aux U.S.A.?

[81] La réponse ne peut être que non!

[82] Il ne sera donc rien accordé sous cet aspect non plus.