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Un employé-cadre réintégré – l’effet du non-respect de la gradation des sanctions

10 septembre 2024

Par Me Paul-Matthieu Grondin, avec la collaboration de Julia Leclair

 

 

Dans une décision récente du Tribunal administratif du travail, Bruneau c. Hydro-Québec (Div. Trans-Énergie), un employé-cadre est réintégré et voit son congédiement annulé, notamment en raison du non-respect du principe de progression des sanctions.

En février 2020, le plaignant travaille chez Hydro-Québec depuis plus de 10 ans. Il est chef des travaux aériens et souterrains, un poste qui se présente sous la forme de dirigeant d’une équipe de monteurs de lignes.

Au printemps 2017, un employé souffrant d’un handicap auditif est placé sous la gouverne de M. Bruneau. À plusieurs reprises, ce dernier tient des commentaires désagréables et inappropriés à l’égard de l’employé. En octobre 2019, l’employé dépose une plainte de harcèlement psychologique, ce qui mène au congédiement de M. Bruneau.

Le plaignant conteste son congédiement, affirmant qu’il est sans cause juste et suffisante. De son côté, l’employeur soutient que le plaignant a commis une faute grave en harcelant psychologiquement l’employé et en faisant preuve d’incivilité.

Le Tribunal a jugé que les faits reprochés ne constituaient pas une cause juste et suffisante de congédiement. Il considère la faute grave, mais la sanction appliquée abusive, disproportionnée et inéquitable dans les circonstances, jugeant qu’une suspension disciplinaire de quatre semaines aurait plutôt dû être imposée. En conséquence, le Tribunal a exigé la réintégration de M. Bruneau dans son poste.

 

Voyez comment le juge a motivé sa décision :

 

 

1) Les agissements incohérents de l’employeur

[37] Or, bien que le Tribunal soit convaincu que l’employeur déploie de manière générale des efforts pour appliquer un principe de tolérance zéro, la preuve révèle que les agissements du plaignant ne l’alarment pas outre mesure avant de le congédier. Ce faisant, affirmer que le lien de confiance est irrémédiablement rompu par des écarts de conduite qualifiés finalement de graves devient incohérent.

[39] D’une part, le Tribunal constate que les supérieurs hiérarchiques du plaignant, ses chefs 4 et 3, sont mis au courant des allégations de la victime le jour du dépôt de sa plainte, soit le 2 octobre 2019. Or, malgré la nature des allégations, ils décident de laisser le plaignant continuer à travailler comme d’habitude sans aucune mesure transitoire préventive en attendant le dénouement du processus. Par conséquent, la victime continue à être dirigée par le plaignant sans que cela inquiète ses chefs quant à une possible aggravation de la situation ou des effets sur la victime.

2) La capacité du plaignant d’amender sa conduite 

[47] La preuve révèle que la victime décide de confronter en privé le plaignant en l’avisant de son mal-être causé par ce genre d’humour relié à sa famille. C’est la toute première fois qu’il l’exprime directement ainsi au plaignant. Le plaignant lui explique alors que son intention n’était pas de la rendre mal à l’aise et s’excuse sur le champ et sans détour. De plus, constatant le tort causé à la victime, il lui annonce qu’il fera des excuses face à toute l’équipe de monteurs de lignes sous sa gouverne le lendemain matin. Ce qui est fait, avec la mention que ce genre de blague ne doit plus survenir. Et il tient parole.

[49] Pour le Tribunal, le comportement adopté par le plaignant durant plus de quatre mois travaillés avant son congédiement est plutôt le reflet d’une prise de conscience et d’une capacité d’amender sa conduite.

3) Les lacunes comme gestionnaire invoquées au soutien du congédiement :

[57] Certes, le plaignant est un gestionnaire imparfait. Cependant, la preuve convainc qu’il est dévoué au travail. D’ailleurs, certaines décisions de l’employeur au fil du temps démontrent la confiance vouée au plaignant malgré les mises au point concernant son savoir-être. Par exemple, l’employeur lui délègue les pouvoirs de son supérieur chef 4 afin qu’il le remplace temporairement du 24 septembre au 11 novembre 2018. Le Tribunal y voit assurément un gage de confiance malgré ses lacunes. Aussi, comme mentionné précédemment, il est muté en novembre 2019 à un poste dans un autre territoire suivant un processus de sélection basé sur le mérite.

[58] Bref, invoquer les démarches administratives dans le contexte du congédiement disciplinaire revient à faire un procès inéquitable de l’ensemble de la carrière de gestionnaire du plaignant.

4) Le non-respect du principe de progression des sanctions :

[65] À la lumière de ces faits, le Tribunal conclut que l’employeur n’a pas respecté le principe de progression des sanctions en imposant un congédiement au plaignant en février 2020. Non seulement une des trois mesures invoquées comme antécédents n’aurait pas dû l’être, mais l’employeur devait imposer des mesures disciplinaires progressives avant de lui faire subir la peine capitale.

[67] L’employeur plaide qu’il faut relativiser ce principe de progression lorsqu’on est en présence d’un employé-cadre. Le Tribunal est d’accord avec cette affirmation. Toutefois, cela ne permettait pas à l’employeur de passer d’un avis écrit au congédiement sans imposer une mesure mitoyenne donnant l’occasion réelle au plaignant de s’amender.

[70] Dans le cas du plaignant, une suspension disciplinaire de quatre semaines aurait dû être imposée au plaignant plutôt qu’un congédiement dans les circonstances. Cette mesure respecte le principe de progression des sanctions appliqué au plaignant dans son rôle de gestionnaire de premier niveau.