Par Me Paul-Matthieu Grondin
Dans la cause récente du Tribunal administratif du travail Rondeau c. Sisca Solutions d’affaires Canada inc., un employé en imprimerie est congédié et il exerce deux recours en vertu de la Loi sur les normes du travail.
Dans une fin d’emploi somme toute sans histoire, on demande à l’employé de quitter les lieux. La preuve est mince sur ce qui s’y est passé, parce que toute cette cause se plaide ex parte, l’employeur n’étant pas représenté. L’employé réussi donc à établir qu’il n’y a pas de cause juste et suffisante à son congédiement, l’employeur ne présentant aucune raison, à l’évidence. L’employé renonce au remède de la réintégration, et le tribunal réserve sa compétence pour décider des solutions.
La partie intéressante du jugement se situe au niveau de la continuation de l’entreprise, l’employé ayant réussi à prouver que celle-ci, bien que faillie, avait été rachetée par une autre, et avait continué ses opérations, de sorte que ses obligations d’employeur se poursuivaient avec le même contrat d’emploi. Voyez ici :
[20] L’article 97 de la LNT prévoit que :
L’aliénation ou la concession totale ou partielle de l’entreprise, la modification de sa structure juridique, notamment, par fusion, division ou autrement n’affecte pas la continuité de l’application des normes du travail.
[Notre soulignement]
[21] Pour que celui-ci puisse s’appliquer, deux critères cumulatifs doivent être satisfaits : il doit y avoir continuité de l’entreprise chez l’acquéreur et il doit exister un lien de droit entre les employeurs successifs.
[22] La vente d’une entreprise en contexte de faillite n’empêche pas la constatation d’un lien de droit entre celle-ci et son acquéreur. À ce sujet, dans l’affaire Daltilia c. Modes Thunder Bay inc.[3], le Tribunal rappelle ce qui suit :
[37] Il est maintenant bien établi que l’intervention d’un syndic à la faillite d’une entreprise ne fait pas obstacle à la constatation d’un lien de droit entre l’ancienne entreprise et la nouvelle. […].
[38] Le Tribunal est d’avis que l’intervention dans le processus d’un autre intermédiaire ne change rien. Ce qui importe, c’est de déterminer si les éléments constitutifs de l’entreprise d’origine permettent à leur éventuel acquéreur de poursuivre au moins partiellement des activités de nature semblable à celles exercées par l’employeur d’origine. C’est exactement le cas en l’espèce.
[Nos soulignements]
[23] Ainsi, même s’il s’agit d’une vente forcée d’une entreprise en contexte de faillite, l’acquéreur est tenu de respecter les droits d’un salarié protégés par la LNT, comme le maintien de son emploi et les autres normes, si le Tribunal constate que l’entreprise d’origine se continue chez l’acquéreur.
[24] Que révèle la preuve dans la présente affaire?
Le lien de droit
[25] Les documents provenant du dossier de faillite de Sisca solutions à la Cour supérieure, démontrent que cette dernière est en faillite à compter du 16 mai 2019 et qu’un syndic est nommé pour surveiller ses actifs.
[26] Dans une lettre transmise au syndic de faillite le 5 décembre suivant, Sisca gestion offre d’acheter Sisca solutions, ainsi que ses divisions, ses succursales et tous ses équipements.
[27] L’offre est acceptée et est ensuite entérinée le 13 décembre par la Cour supérieure.
La continuité des activités par Sisca gestion
[28] Ce n’est que lors de la remise des audiences prévues en 2020 que le plaignant apprend que Sisca solutions est en faillite. Il soutient toutefois que les activités de cette dernière n’ont jamais cessé.
[29] Plusieurs photos prises par lui à la maison-mère au mois d’août 2020 démontrent qu’il y a de l’activité. Il y reconnaît les voitures d’anciens collègues stationnées et il constate que des palettes remplies de matériel ont été préparées et enveloppées pour être livrées.
[30] En 2021, il met la main sur des documents provenant du site Internet de Sisca gestion, qui révèlent que le siège social se situe maintenant sur la rue Jean-Brillon à LaSalle. De plus, il y apparait que plusieurs employés de Sisca solutions ont été transférés chez Sisca gestion, comme par exemple, les directeurs des cinq « Copie‑Express ». Enfin, il constate que ces succursales sont situées aux mêmes adresses qu’avant la faillite de Sisca solutions.
[31] En mars 2022, pour les fins de la préparation d’une éventuelle audience au Tribunal, il se présente dans un « Copie-Express » où il reconnaît le même gérant qu’à l’époque de Sisca solutions. Ce dernier lui mentionne que la faillite n’a rien changé dans le fonctionnement de la succursale et que la clientèle demeure toujours la même. Le plaignant constate que l’équipement et les produits vendus sont pratiquement identiques à ceux d’avant son congédiement et il reconnaît deux ou trois employés.
[32] Le Tribunal conclut donc que le plaignant réussit à démontrer que Sisca gestion continue l’entreprise de Sisca solutions et qu’il existe un lien de droit entre ces dernières. Bien que la preuve relative à la continuité de l’entreprise soit sommaire, en l’absence des parties défenderesses, elle n’est pas contestée. Conséquemment, Sisca gestion doit être considérée comme étant l’employeur visé par les présentes ordonnances.