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Contrats de travail à durée déterminée successifs : une rédactrice de revue universitaire n’obtient pas d’indemnité de départ

31 janvier 2023

 

 

Par Me Paul-Matthieu Grondin

 

Dans la cause de la Cour supérieure Nagy c. Université Laval, ladite université met fin à ce qu’elle croit être un contrat de services avec la rédactrice d’une revue universitaire qu’on dit être un « joyau ». La cause semble révéler une relation plutôt acrimonieuse entre les parties, mais c’est le détail juridique des contrats de travail à durée déterminée et indéterminée qui nous intéresse ici.

La rédactrice, doctorante en anthropologie et titulaire d’une maîtrise en archéologie, signe deux contrats successifs à durée déterminée. Même s’ils ont l’allure de contrats de service, on n’apposera cette mention qu’à un troisième contrat à durée déterminée qu’elle signera finalement. L’université mettra simplement fin au contrat à son terme. Or, la demanderesse plaidera que le dernier contrat est un contrat de travail, et ainsi, qu’une succession de contrats de travail à durée déterminée mène à un contrat à durée indéterminée qui lui, au final, donne ouverture à une indemnité de départ.

Le juge décidera que le dernier contrat est aussi un contrat de travail (même s’il y avait beaucoup d’arguments en faveur du contrat de services), mais qu’il était lui aussi à durée déterminée et, ainsi, que l’université pouvait y mettre fin à son terme sans indemnité de départ.

Voyez plutôt :

 

 

[48]        Ce qui distingue le contrat de travail du contrat de service, c’est le critère de la subordination juridique. Cette notion, qui implique l’existence d’un lien de dépendance hiérarchique d’un salarié envers un employeur, inclut le pouvoir de ce dernier de donner des ordres et des directives, d’exercer un contrôle sur l’exécution du travail et de sanctionner les manquements. Les retenues à la source, les avantages sociaux, le statut déclaré dans les déclarations de revenus et l’exclusivité des services sont d’autres indices qui permettent de conclure à l’existence d’un lien de subordination juridique.

[49]        Quoique la subordination juridique inclue la dépendance économique, il ne faut pas confondre ces deux notions. Il peut exister un lien de dépendance économique sans que celui-ci constitue de la subordination juridique. Ainsi, le fait qu’une personne ne soit liée qu’à un seul client qui impose certains devoirs et obligations et fixe le prix du produit n’est pas déterminant[5].

[50]        Outre la subordination juridique, les tribunaux retiennent également les critères suivants, qui ne sont pas exhaustifs, pour déterminer si une personne a le statut de salarié ou travailleur autonome : la possibilité de faire des profits ou de subir des pertes, le mode de rémunération, la propriété des instruments requis pour exécuter le travail, l’intégration des tâches dans les activités courantes de l’entreprise et le comportement des parties eu égard à leurs relations.

[51]        Puisque chaque cas en est un d’espèce, l’analyse doit être effectuée dans une perspective globale en pondérant l’ensemble des critères.

[52]        En l’espèce, les indices suivants pointent vers un contrat de service : 

        Mme Nagy percevait des honoraires de l’Université sur présentation de ses   factures qui incluaient la TPS et la TVQ ;

        elle travaillait à son domicile parce qu’elle n’avait pas de bureau à l’Université;

        elle n’avait pas à se présenter à l’Université pour fournir ses services;

        elle ne recevait pas de relevés de paie de l’Université sur lesquelles les déductions à la source obligatoires étaient prélevées;

        elle ne recevait pas de formulaire T-4 ni de relevé 1 de l’Université chaque année pour compléter ses déclarations de revenus;

        elle utilisait ses propres instruments de travail afin de rendre ses services à l’Université, en l’occurrence son mobilier de bureau, son ordinateur, ses logiciels, son imprimante, sa papeterie, ses livres et manuels de référence de même que ses fournitures de bureau;

        elle pouvait rendre des services à des tiers;

        elle déterminait les heures et les jours durant lesquels elle fournissait ses services et n’avait aucune obligation d’être disponible pour que l’Université lui donne du travail;

        elle prenait des journées de congé et des vacances sans devoir requérir l’autorisation de l’Université et ne faisait qu’aviser de ses absences;

        elle n’avait pas l’obligation de fournir des feuilles de temps ni des relevés de temps de travail; elle inscrivait ses heures avec son taux horaire sur ses factures uniquement pour démontrer à l’Université que son travail valait plus que le montant accordé;

        elle n’a pas postulé sur un poste de rédactrice de la Revue ni participé à un concours selon les règles applicables au sein de l’Université dans le cadre de la conclusion du contrat P-8;

        elle ne bénéficiait pas des avantages sociaux accordés aux employés de l’Université, tels le régime de retraite et les assurances collectives en outre;

        elle ne faisait pas partie de l’un ou l’autre des syndicats d’employés de l’Université;

        elle se présentait comme une travailleuse autonome auprès du fisc dans ses déclarations de revenus et déduisait une panoplie de dépenses de son revenu brut reliées à son entreprise de consultante en anthropologie et en archéologie.

[53]        Toutefois, il faut conclure que le contrat P-8 est un contrat de travail, car lorsque la relation contractuelle a débuté entre les parties le 1er avril 2014, Mme Nagy est devenue subordonnée juridiquement envers l’Université.

[54]        En effet, M. Rodon lui donnait des directives, exerçait un contrôle sur l’exécution du travail et lui faisait même des reproches quant à son manque de professionnalisme dans la mise en page de la Revue.

[55]        Dans le contrat P-8, les articles 4.2, 6.1 et 8.1, qui sont ainsi rédigés, reflètent l’existence du lien de subordination juridique entre les parties, parce que l’Université exerce un véritable contrôle sur la façon d’exécuter le travail :

4.2     La Seconde partie s’engage à tenir compte de toutes les instructions et recommandations de l’Université et de ses représentants autorisés sur la façon d’exécuter le contrat.

6.1     L’Université se réserve le droit de refuser en tout ou en partie les Services qu’elle ne juge pas satisfaisants. Advenant le cas où la totalité ou une partie des Services devait être reprise à la requête de l’Université pour des motifs ne mettant pas en cause la qualité des Services originalement fournis, les frais de cette reprise feront, s’il y a lieu, l’objet d’une entente préalable entre les Parties.

8.1     L’Université se réserve le droit de procéder en tout temps à l’évaluation des travaux effectués par le Prestataire de services de façon à s’assurer, notamment, du respect de l’échéance convenue entre les Parties. Le Prestataire de services s’engage à collaborer avec l’Université à cet égard.

[56]        Lorsque Mme Nagy rendait ses services à l’Association à titre de directrice et de rédactrice de la Revue, leur relation était régie par un contrat de service, car il n’existait aucun lien de subordination juridique. C’est la conclusion qu’il faut tirer du témoignage de Mme Nagy, parce que l’une des raisons pour laquelle elle entretenait de mauvaises relations avec M. Rodon, c’est qu’elle n’était pas habituée de recevoir des directives et d’être supervisée dans le cadre de l’exécution de son travail.

           La durée de la relation contractuelle

[57]        En principe, un contrat de travail à durée déterminée prend fin à l’arrivée de son terme à moins qu’il soit reconduit tacitement pour une durée indéterminée en vertu de l’article 2090 C.C.Q. ou qu’il soit renouvelé.

[58]        Cependant, dans certaines situations, une succession ininterrompue de contrats de travail à durée déterminée peut résulter en une relation de travail à durée indéterminée. Chaque cas étant d’espèce, il faut rechercher la volonté réelle des parties quant à la durée de leur rapport contractuel en examinant leur comportement et l’ensemble des circonstances.

[59]        En l’espèce, il faut conclure que la relation contractuelle existant entre les parties était à durée déterminée.

[60]        D’abord, les parties ont conclu seulement deux contrats à durée déterminée après le contrat P-3, en l’occurrence les contrats P-6 et P-8. On ne peut donc inférer qu’elles désiraient réellement que leur relation soit sur une base indéterminée.

[61]        Ensuite, il n’était pas acquis que la relation contractuelle entre les parties allait se poursuivre lors de la conclusion des deux derniers contrats. À chaque occasion, il fallait qu’elles s’entendent sur les conditions de chacun d’eux.

[62]        De plus, le contrat P-8 n’a pas été reconduit tacitement pour une durée indéterminée en vertu de l’article 2090 C.C.Q. Les parties ont écarté expressément le principe de la tacite reconduction qui n’est pas d’ordre public.

[63]        Aux articles 3.1 et 3.2 de ce contrat, elles ont stipulé qu’il se termine le 31 mars 2017 sous réserve que le prestataire de services (Mme Nagy) ait complété toute obligation et à moins qu’il soit prolongé de la façon prévue :

3.1   À moins d’indication contraire à cet effet, le présent contrat entre en vigueur à la date de signature d’une des Parties la plus récente, et se termine au plus tard le 31 mars 2017 sous réserve que toute obligation du Prestataire de services ait été complétée.

3.2   Toute demande d’extension devra être logée par écrit à l’Université avant le terme du contrat étant entendu, à moins de stipulation contraire, qu’une éventuelle prolongation n’aura aucun impact sur le montant des honoraires payables au Prestataire de services.

[64]        En conséquence, puisque le contrat P-8 est un contrat de travail à durée déterminée qui s’est terminé le 31 mars 2017 et n’a pas été prolongé conformément à ce qui est stipulé à son article 3.2, la réclamation de Mme Nagy est rejetée.